Par définition, c’est l’élection qui fait la légitimité d’un ou d’une élue. Le scrutin clôt le 14 juin 2023 est sans équivoque sur ce point pour Marion Kellin, désignée peu de temps après vice-présidente de la FFR, chargée des écoles de rugby et de la formation.
Il est cependant aussi agréable qu’utile de constater que cette légitimité élective se conjugue avec des références multiples qui classent sans doute le CV de Marion Kellin parmi les plus éclectiques du rugby français.
Excusez du peu : universitaire (Doctorat 2012 : thèse « Santé et performance au cœur de la mêlée dans le rugby à XV : Expériences corporelles, normes propres et sensibilités des joueurs de première ligne »), joueuse (Romagnat et Clermont la Plaine), arbitre, éducatrice, directrice des services du Comité d’Auvergne puis Directrice administrative de la Ligue AuRA de rugby, puis directrice d’un organisme de formation dans les métiers du sport, mère de 3 enfants pratiquant dans une école de rugby rurale, récente lauréate d’un Master 2 « droit et économie du sport » par le Centre de Droit et d’Economie du Sport de Limoges…. Qui dit mieux et plus ?
Nous avons proposé à Marion Kellin quelques questions afin de mieux cerner quelles pourraient être ses attentes vis-à-vis de nos écoles de rugby
- Il y a un peu plus de 10 ans votre thèse de doctorat définissait le rugby comme une activité « riche et épanouissante en terme de construction personnelle (apprendre à être forte et à combattre) » mais vous suggériez aussi des oppositions (à moins que ce ne soit des complémentarités) entre « douleur et plaisir », « sécurité et performance ». Vous vous êtes par la suite engagée très tôt dans « Ovale Ensemble » aux côtés de Florian Grill, avec l’ambition de rassembler autour d’un triptyque : la passion de la compétition, les valeurs éducatives et l’engagement citoyen. Quelles sont les actions nouvelles que vous allez conduire dans vos nouvelles fonctions fédérales pour que l’activité rugby progresse dans les multiples dimensions que vous avez identifiées ?
MK : D’abord il s’agit d’assurer la continuité et la pérennité des bonnes pratiques et actions positives menées par la FFR, les ligues, les comités départementaux, les clubs et tous les dirigeants engagés dans ces différentes associations.
Sur le volet des Ecoles de rugby, l’une des nouveautés de la saison 2023/2024 sera d’installer l’Orange Rugby Challenge pour la catégorie M12, demandée depuis longtemps par les différentes instances, qui permettra de développer les habilités motrices des jeunes pousses de nos EDR encore plus tôt.
Nous allons également nous pencher sur le diagnostic du « représentant départemental EDR » dans les territoires où cela a été effectivement mis en place. Et cela va dans le sens du gros chantier sur la feuille de match dématérialisée des plateaux EDR, afin de recenser mieux le nombre de pratiquants mais aussi les incidents dans les stades et les blessures. Avec des remontées de DATAS nous pourront, sans doute, plus facilement, cibler certaines actions dans les écoles de rugby.
Sur le volet Formation, nous avons défini deux axes de travail avec les services de la FFR :
1/Renforcer l’existant en maintenant un bon niveau de qualité dans nos formations et une sécurisation administrative, juridique et financière de toute la filière diplômante rugby.
2/ Développer l’INEF et le réseau des IREF des différentes Ligues. Nous allons relancer un plan de formation « vie associative » avec des formations pour les femmes dirigeantes, des formations pour les nouveaux dirigeant(e)s de clubs, de Comités Départementaux, de Ligues sur toutes les thématiques dont ils ont besoin pour la gestion associative. Là aussi quelques gros chantiers nous attendent : celui de l’héritage de Campus 2023 avec le parcours d’« Administrateur de structure sportive » qui apparait fort intéressant à dupliquer, la création d’un CFA hors les murs qui pourrait servir à tout le réseau des IREF qui en seraient les UFA, la création d’un CQP ou TFP «entraineur performance» pour l’élite…
Nous devrons aussi être en mesure de proposer des parcours de formation pour la montée en compétences des CTC et du personnel administratif sur les différents territoires et maisons d’ovalie.
Ces enjeux de formation sont intimement liés à la structuration des clubs et de leurs Ecoles de rugby.
- Quel regard portez-vous sur le récent développement du baby rugby ?
MK : Le baby rugby, comme dans toutes les autres pratiques sportives qui prennent les enfants à partir de 3ans, permet essentiellement à ces derniers le développement de leur motricité générale. Mais le fait de toucher le ballon Ovale, permettra peut-être d’en fidéliser certains. Si ce n’est pas le cas, ça aura pu nous amener quelques parents en bordure de terrain, qui peuvent être les dirigeants ou éducateurs de demain, de futurs mécènes avec leur entreprise…ou même des pratiquants eux-mêmes, dans des sections de rugby à 5, par exemple. Tout ce que le club pourra développer en son sein, lui permet de renforcer son engagement citoyen, auprès de sa commune, son village, son école, son écosystème…
- Vous êtes d’une génération de joueuses de rugby dont une part importante a découvert le rugby en entrant à l’Université. L’accès à la pratique du rugby féminin est plus précoce aujourd’hui, aussi bien dans le monde scolaire que dans les écoles de rugby ou en U18F…La mixité est la règle dans nos écoles de rugby, mais est aujourd’hui diversement appréciée par les filles évoluant en U14/U15. L’ APARE a imaginé, sans avoir pu le concrétiser, un projet de tournoi des « minimettes ». L’essor d’équipes féminines dans cette catégorie d’âge vous paraît-il souhaitable et si oui quels axes de travail le permettront-ils?
MK : Effectivement, je suis arrivée au rugby par la pratique universitaire, lors de mes études en STAPS. J’avais déjà été piquée par la passion de ce sport via mon père et mon frère sans pouvoir me dire que je pouvais moi-même pratiquer, plus jeune.
Il me parait important de montrer aux jeunes filles qu’elles peuvent pratiquer le rugby dès leur plus jeune âge en pratique mixte certes, mais aussi pouvoir proposer une pratique entre filles, notamment dès l’âge de 11 ans (avec l’entrée au collège). Beaucoup de territoires organisent déjà des tournois de minimettes, des rassemblements départementaux des minimes féminines avec des tournois interdépartementaux. Il s’agirait de développer encore plus cette proposition.
Allons également voir ce qui est proposé dans les autres sports collectifs, notamment ceux qui ont une forte représentativité féminine…Volley, Basket, Handball. Nous devons aussi nous pencher sur la perception des jeunes filles, elles-mêmes, de leur pratique et sur les raisons des arrêts. Une réflexion sur l’évolution des catégories et sur les formes de jeu à proposer est à mener en lien étroit avec la commission féminine (dont le POS féminin 2023/2033 a été présenté) et la DTN.
- La catégorie U14 (G et F) est sans doute celle qui pose le plus de questions dans les écoles de rugby, et certains clubs sont tentés de ne plus la considérer comme une catégorie des EDR. Plusieurs problématiques se bousculent : décision fédérale d’encourager la pratique à XV il y a plusieurs années (avec diverses conséquences dont la multiplication des rassemblements et l’affirmation d’un esprit de compétition), intensité des obligations qui sollicitent fortement les éducateurs (passeport sécurité, arbitrage, évaluations du joueur ou de la joueuse pour éventuelle inscription dans le processus de formation fédérale…), nombre d’entraînements hebdomadaires compatibles avec l’ambition de formation du joueur (et en comparaison avec le nombre de séances dans d’autres sports), confrontation, pour celles et ceux qui le souhaitent, aux prémices du « haut niveau » (d’où phénomène des doubles licences voire des mutations…)…Des évolutions sont-elles envisagées ?
MK : Effectivement, nous avons vu, peu à peu, descendre les problématiques de mutations/doubles licences sur la catégorie U14. A chaque décision prise par les instances fédérales (ex : couleurs de licences il y a quelques années) cela a induit, des adaptations dans les clubs.
Des évolutions réglementaires sont prévues d’ici 2025 avec les Nouveaux Règlements Généraux qui sont en cours de simplification. Il faut savoir que nous pouvons difficilement empêcher une personne de s’affilier là où elle le veut. Le principe de libre circulation des personnes s’applique dans le sport et s’est renforcé depuis l’arrêt Bosman de 1995 et toutes les décisions qui ont suivies vont dans le même sens…
Ce qui est possible c’est de mettre en place d’autres outils de régulation, comme celui de limiter le nombre de joueurs par collectif, selon les profils et les compétitions, obligeant les clubs à mieux réfléchir leur recrutement. Les indemnités de formation permettent aussi d’éviter les dérives, elles ont, selon moi, toute leur place chez les féminines, où lorsqu’elles étaient présentes, elles s’équilibraient…
La catégorie U14 (G et F), à la croisée de l’EDR et des compétitions jeunes (Cadet(e)s/Juniors), concentre, en effet, toutes les attentions. Des référents U14 sont répertoriés dans chaque ligue et travaillent sur le sujet.
- Quelques jours après votre élection vous avez rencontré, de manière informelle, plusieurs dirigeants, (dont un des co-présidents de l’APARE), impliqués depuis de nombreuses années dans l’organisation évolutive du Super Challenge de France… Quelle est votre vision de ce challenge ?
MK : Le sujet du Super Challenge de France a fait (et fait encore) débat et je suis en train de prendre la mesure des choses. Ce challenge a une histoire qui peut se comprendre, il s’est monté en dehors des instances fédérales pour répondre à un objectif précis des clubs qui en revendiquent la paternité. Il est depuis quelques années, maintenant, intégré au cahier des Ecoles de rugby, légitimé par la FFR. Je vais surtout restée prudente dans ma réponse car je n’ai pas encore suffisamment d’éléments pour donner ma « vision » sur le sujet. Je sais que des ajustements ont déjà été apportés et que d’autres le seront sans doute encore.